Je suis comme dans un rêve. Ou plutôt, un cauchemar. On me transporte de salle en salle, de couloir en couloir. J’ai l’impression que cela fait des jours que je suis observateur de ma propre vie. On m’a sorti de ma cellule il n’y a pas si longtemps, mais je ne ressens rien. Après tout, pourquoi avoir peur ? Je sais très bien ce qu’il va m’arriver. Comme à tous les criminels qu’on ne pend pas. Les deux gardes qui me portent me lâchent finalement sur une table en bois dur. Je tombe brutalement sur le support, ce qui me procure une intense et délectable douleur au niveau du dos. Heureusement, ils ne s’en rendent pas compte. Ils sont tout à leur travail, m’attachant solidement au bord, la tête pendant au-dessus du vide. Puis, ils me laissent seul quelques instants.

Et puis vient le bourreau. Il entre par une porte masquée, et je le vois. Cette vision, chaque homme la redoute, car elle signifie généralement des heures de souffrances. Ses cheveux verts coiffés en pétard, sa peau d’une blancheur extrême, ses vêtements trop grands aux couleurs éclatantes, ses chaussures immenses, son maquillage noir, son nez rond et rouge… Il est là, et me regarde, avec un immense sourire qui dévoile ses dents immaculées. Je me mets à prier pour être épargné par une quelconque divinité. Et lui, il me tourne autour, son éternel sourire aux lèvres. Il pianote sur la table, puis ouvre un tiroir. Il sort alors les instruments, après avoir fouillé plusieurs longues minutes. Il commence avec le pinceau.

Au simple contact de l’instrument avec mon pied, je m’agite. Les convulsions sont incontrôlables. J’essaye de ne pas montrer que j’y suis sensible, mais c’est impossible. Il continue, et son sourire s’élargit, encore et toujours. Je maintiens ma bouche fermée, même si cela me coûte un effort surhumain. Le pinceau s’agite, se promène sur la plante de mes pieds, entre les orteils, jusque sous la cheville. Il passe de l’un à l’autre, m’arrachant, à chaque fois, des contractions que je peine de plus en plus à maîtriser. Mais je me jure intérieurement de ne laisser passer aucun son. Je ne lui ferai pas ce plaisir. Il comprend bien vite ma résolution, et s’empare d’un nouveau pinceau, m’accordant un temps de relatif répit.

Il remonte alors le long de mon corps, et parvient jusqu’à mon cou. Je déglutis avec difficulté. Il sait tout de moi. La torture recommence. L’instrument glisse paresseusement de ma pomme d’Adam à ma nuque, et ce n’est qu’à grand peine que je parviens à garder la bouche fermée. Il s’empare alors d’une plume dans son autre main, et, tandis que le pinceau continue son œuvre au niveau du cou, il fait glisser l’autre outil sur mon visage. J’expire bruyamment. Une lueur victorieuse apparait dans ses yeux. Il sent que je vais craquer. Je referme aussitôt la bouche. J’essaye de penser à autre chose. Mais la plume vient se loger jusque dans mes yeux, repasse sous mon nez, sur mes lèvres, sous le menton, rejoignant le pinceau, puis repartant. Le bourreau connait parfaitement son métier. Il sait qu’au final, il vaincra. Il me regarde fixement, son sourire immuable s’élargissant encore et encore.

Il continue ainsi sa besogne durant de longues minutes, qui paraissent durer des heures. J’essaye de rester stoïque, mais mes membres me trahissent. Seule ma bouche continue de m’obéir, résiste à l’envie de s’ouvrir et de hurler. Et ça a le don de frustrer mon bourreau, dont les sourcils finissent par se plisser. Je sais qu’il a encore plus d’un tour dans son sac. Il va finir par y arriver, mais je veux lui faire savoir qu’il lui en coûtera de nombreux efforts, et que ce n’est pas avec ses pinceaux ou ses plumes qu’il y parviendra. Et soudain, il pose ses instruments. Il me regarde avec son sourire, mais je sens que la colère monte en lui. Son regard parcourt mon corps tout entier.

Au moment même où je commence à espérer qu’il en a finalement terminé, il se jette sur moi. Sous le coup de la surprise, j’ouvre la bouche, et pousse un petit cri. Cri qui m’est fatal, car une fois ouverte, ma bouche ne se referme plus. Les doigts du bourreau connaissent tous les endroits sensibles, du ventre aux poignées d’amour, en passant par le cou, et même les jambes. Je n’en peux plus. Les cris se succèdent, les spasmes qui m’agitent sont impossibles à contenir. Attaché, je ne peux que crier, tandis que lui continue, m’accompagnant de son terrible rire. J’ai envie de mourir, que tout finisse. Il s’acharne, tandis que je me tortille dans tous les sens, essayant sans succès de me libérer. Ses doigts crochus pianotent tout le long de mon corps. Et finalement, une fois que sa rage est passée, alors que je n’en peux plus, il s’arrête, sans un mot. Son sourire est toujours là, et il me regarde reprendre ma respiration, agité de hoquets. Je halète, et quelques spasmes, de plus en plus espacés, soulèvent mon torse.

Satisfait, mon bourreau s’en va en riant, laissant les instruments de torture à côté de moi. Les gardes reviennent, me détachent et me ramènent dans ma cellule. En attendant demain…